Performer l'usage, une poétique fiction
Les objets du quotidien possèdent des qualités performantielles dont artistes et designers se saisissent pour explorer l’usage. En les émancipant de leurs archétypes fonctionnels et techniques, ces auteurs intensifient les récits inhérents à la culture de l’objet. En fictionnalisant l’objet par la performance, leurs œuvres font surgir un monde des objets et des usages autre qui convergent vers une nouvelle typologie de formes artistiques que je propose d’appeler performance-fiction. Performer les usages, c’est ouvrir, dans le réel, des brèches fictionnelles : interstices féconds dans lesquels se redéfinissent l’objet usuel et l’écosystème relationnel – poétique, politique et écologique - qui se déploie avec et par les objets. Chemin faisant, ce sont les mondes de la performance et de la fiction, en tant qu’objets, qui se remodèlent.
Écrire l’objet performé, c’est acter l’objet en déplacement : il s’agit d’en faire un des enjeux exploratoires d’une thèse et d’une pratique artistique - en écho aux traversées qu’opèrent les artistes et les designers, par delà les possibles frontières des usages, des récits, et des disciplines.
Mots clés : performance, art contemporain, design, objets, usages, fiction
Cinq carnets constituent la thèse.
Le premier carnet explore la dimension performantielle de l’objet à travers la mise en œuvre d’un usage. En s’appuyant sur des œuvres historiques dans lesquelles l’objet a été performé, on se demande si l’usage est un médium et s’il est affaire de poétique. Le second carnet, en s’appuyant sur une définition possible de la fiction, analyse les dimensions fictionnelles de la performance et la manière dont artistes et designers déploient des « effets de fiction » dans leurs œuvres. Le troisième carnet analyse les performances fictionnées, propositions artistiques spécifiques qui, à l’inverse de celles étudiées dans le carnet deux, jouent du trouble entre réel et fictionnel et ouvrent un espace hétérotopique singulier qui fait du performeur un fictionnaire. Le carnet quatre s’attarde plus particulièrement sur les pratiques historiques de designers qui, en introduisant la notion du récit dans l’objet, ont ouvert la voie à des pratiques contemporaines qui performent l’usage pour inviter à s’affranchir de l’usage, en incitant à faire bifurquer les représentations et les comportements. Le carnet cinq étudie les performances-fictions à l’aune du cool et de la culture pop, faisant du corps du performeur un héros discret, devenu expert dans l’esquive et l’art de la contre-fiction.
« Contaminer, se déplacer, rendre poreux, trouver les zones intermédiaires, naviguer entre deux eaux : cette thèse fait de l’approche dialogique le cœur même du processus de recherche.
Dialogue entre les différences formes d’écriture, littéraires et analytiques, entre les disciplines de l’art et du design, bien évidemment, mais aussi entre les arts appliqués, les arts plastiques et la littérature.
Dialogue, bien sûr, de la performance avec toutes les disciplines qu’elle traverse. (…)
Cette recherche revendique d’être une traversée, non pas linéaire mais constellatoire, faisant découvrir et reliant des pratiques autour de l’objet performé (…)
Il s’agira donc dépasser une définition étroite de la performance, héritée de l’histoire, qui a permis de qualifier un ensemble de pratiques mettant en œuvre le corps et l’action dans un ici et maintenant et de privilégier une approche pragmatique pour délimiter ce qui serait un territoire possible de travail : qu’est-ce que fait la performance ? Comment agit-elle sur nous, en tant que créateur, en tant que spectateur, en tant qu’usager ? En se situant dans cet espace, on acte que la performance, par delà les disciplines, par delà le médium, se définit avant tout dans un sentir et dans son effet : performer c’est accomplir un acte, en l’effectuant de telle sorte qu’il s’accomplisse mais qu’il accomplisse aussi celui qui le réalise, mais aussi et autrement, celui qui assiste à cet accomplissement."
